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LOI DE SANTÉ par Dr Christian Lehmann le 08-04-2015

Les dessous inavoués du tiers-payant généralisé
Dans un billet de blog, le médecin généraliste engagé et écrivain à succès Christian Lehmann, revisite la longue marche ayant conduit les gouvernements successifs à ouvrir grande ouverte la porte aux complémentaires. Pour aboutir à l'installation du tiers-payant généralisé, sous la houlette de Marisol Touraine. Lequel permettra aux "mutuassureurs" de mettre la main sur les données de santé.
Extraits.

"Accélérant le mouvement en 2012, le gouvernement de reniement de François Hollande cherche à déréglementer le secteur de la santé, et à livrer les professionnels aux financiers et aux assureurs, appâtés par l’odeur du gain. Tout en cherchant désespérément une mesure emblématique de gauche pour servir de caution sociale de sa politique antisociale: ce sera le tiers-payant généralisé (TPG).

Dans le même temps, au prétexte de la loi sur l’accessibilité aux personnes handicapées, le gouvernement met en péril la survie de nombre de cabinets médicaux isolés. Les moyens diffèrent, mais la technique est identique à celle qui a été utilisée avec succès pour les laboratoires de biologie médicale. Empiler les contraintes ingérables au tarif actuel de la consultation, forcer au regroupement dans des structures qui demain seront bradées aux complémentaires et aux financiers. Quand 50.000 médecins refusent telle ou telle directive imbécile, il est plus simple pour les ARS d’ordonner aux directeurs de 3000 maisons de santé de suivre les protocoles décidés en haut lieu.

Le tiers-payant généralisé est un leurre

Dans ce contexte, le tiers-payant généralisé qu’agite Marisol Touraine comme preuve de son engagement socialiste est un leurre. Et cela lui évite de parler de la véritable menace sur l’accès aux soins des français: la totale déconnexion entre le tarif de remboursement et la valeur économique de l’acte, qui dissuade les jeunes de s’installer en ville et accélère la désertification médicale.

Avec le TPG, il ne s’agit pas de diminuer le coût final pour les malades, mais de rendre l’assureur maître d’œuvre de la procédure médicale, selon l’adage qui veut que celui qui paie décide, surtout s’il a tout moyen de faire pression sur le professionnel. Lorsqu’elle répète en boucle dans les média que le tiers-payant généralisé ne coûtera rien à l’Etat, Marisol Touraine n’a pas tort, dans la mesure où la Sécurité Sociale est totalement incapable de gérer informatiquement 600 mutuelles complémentaires.

Frédéric Van Roekeghem (ancien directeur de la CNAM. Ndlr) qui a quitté son poste de fossoyeur après dix ans de bons et loyaux services pour retourner pantoufler dans le privé, a tellement dégraissé la Sécu que ses services ne sont même plus capables de comptabiliser correctement le nombre de patients ayant choisi tel ou tel médecin traitant. Comment son successeur, Nicolas Revel pourrait-il gérer correctement le règlement des soins aux professionnels ?

Ce qui importe, c'est l'effet d'annonce

De son côté, Etienne Caniard (le président de la Mutualité française. Ndlr) fait le tour des médias, annonçant comme un camelot de téléachat qu’il a dans ses cartons une solution informatique simple et fiable pour assurer le paiement aux professionnels, alors qu’encore aujourd’hui la majorité des complémentaires est incapable d’assurer correctement le règlement de la part mutualiste aux assurés bénéficiant du tiers-payant. Mais Marisol Touraine s’en moque. Ce qui lui importe, c’est l’effet d’annonce. C’est de marteler une fois de plus, comme Cahuzac, Morelle et Thévenoud avant elle, qu’elle est de gauche, et donc du côté des petits, des démunis, des pauvres et des sans grade, avant de monter en voiture pour aller dîner au Siècle.

Comble du cynisme, ces disciples autoproclamés de Jaurès n’hésitent pas à proposer de conditionner le tiers-payant que nombre de professionnels de santé appliquent aujourd’hui spontanément à leurs patients en difficulté… à l’autorisation directe de prélèvement de ces franchises (autrefois dénoncées par les socialistes comme injustes et inefficaces) sur le compte bancaire des cancéreux et des diabétiques.

Touraine lâche dans la dernière ligne

Ultime retournement de veste d’un gouvernement aux abois et signe de l’amateurisme qui a accompagné tout au long le projet de Loi Santé, Marisol Touraine lâche dans la dernière ligne sous la pression insistante des médecins les "mutuassureurs" en chargeant la seule Assurance-Maladie de gérer le tiers-payant, provoquant la colère dépitée d’Etienne Caniard. Le président de la Mutualité, qui n'a pas ménagé ses efforts de lobbyiste, voit s’éloigner avec ce flux unique l’accès direct des assureurs aux données des patients.

Même son de cloche chez Cegedim, éditeur de logiciels pour l’industrie pharmaceutique dont le PDG (…) fustige un dispositif « techniquement et juridiquement » intenable… qui protège encore un temps les données des patients… jusqu’au prochain décret ou amendement passé en douce.

Car derrière ce recul momentané, la menace est toujours présente, et de plus en plus clairement exprimée par les parlementaires « socialistes ».

Olivier Véran, rapporteur de la Loi Santé (jusqu'à vendredi 3 avril, où il a redonné son siège à  Geneviève Fioraso, qui a quitté le gouvernement. Ndlr) plaide en termes sibyllins pour une « redéfinition du panier de soins », tandis que Pascal Terrasse, député PS de l’Ardèche et spécialiste des affaires sociales, se prononce de manière plus franche pour le transfert de la médecine de ville, « les petits soins » aux assureurs, quand la Sécurité Sociale se concentrerait sur les pathologies lourdes : « Oui, il faut aller vers ce transfert, et y aller à fond… »

C’est la destruction d’une médecine de l’individu

Quant aux données de santé, que convoitent les assureurs… «  il faut avancer sur l’open data, je le demande au gouvernement ». Pour que les choses soient parfaitement limpides, il assume de manière décomplexée, comme Denis Kessler à droite, l’abandon du pacte fondateur du Conseil National de la Résistance: « Le monde avance, le monde change. Et la Sécurité sociale de 1946 n’était sûrement pas ce que certains prétendent ».

Ce qui se joue ici, c’est une certaine façon d’exercer la médecine. C’est la destruction d’une médecine de l’individu, au profit d’une industrie de santé adossée aux appétits des actionnaires. Il y a deux ans, l’énoncer clairement aurait soulevé l’incompréhension. Mais après deux ans de règne de François Hollande, de reniement en reniement, il est évident que l’homme qui se proclamait ennemi de la finance est en fait son meilleur ami, et que pour passer sous les fourches caudines de la Commission Européenne, il est prêt à brader la santé et le système de protection social français en les livrant aux assureurs et aux financiers pour bien montrer sa capacité de « réformes » antisociales.

Financiarisation du secteur santé, perte d’indépendance des professionnels… Hollande, Valls, Macron, Touraine, Moscovici, Cahuzac… Si la finance n’a pas de visage, elle a un gouvernement."

Publié le 30/03/2015
Exclusif : 74 % des professionnels "prêts" à renoncer au libéral à cause du tiers payant !

Paris, le lundi 30 mars 2015 – Les discussions à l’Assemblée nationale sur le projet de loi de santé débutent ce mardi 31 mars. Cette étape importante sera une nouvelle fois l’occasion pour les professionnels de santé et plus spécifiquement les médecins d’afficher leur désapprobation, en fermant les portes de leur cabinet. Dans les rues il y a quinze jours, sur de nombreux sites d’information médicale (dont le notre), dans les réunions syndicales, le malaise des praticiens s’exprime de plus en plus frontalement, le tiers payant cristallisant toutes les critiques et toutes les colères. Certains lors de ces prises de parole n’hésitent pas à affirmer que la généralisation du tiers payant obligatoire signera pour eux la fin de leur activité libérale, soit qu’ils renonceront à s’installer, soit qu’ils privilégieront leur activité salariée, soit qu’ils choisiront de prendre leur retraite plus tôt qu’ils ne l’avaient prévu. Au-delà des déclarations d’intention, combien sont-ils réellement à juger leur intérêt pour l’exercice en ville considérablement amoindri par l’entrée en vigueur du tiers payant ? Le sondage réalisé sur notre site du 9 au 25 mars indique que jusqu’à 74 % des professionnels de santé pourraient envisager de renoncer à une activité libérale en raison de cette réforme. Ils sont a contrario 20 % à assurer que cette évolution n’aura pas d’incidence sur leur plan de carrière, tandis que 6 %, hésitant sans doute à affirmer une prise de position aussi drastique, ne se prononcent pas.
Quand des professionnels ayant un métier-passion s’affirment prêt à renoncer

Amour du métier et de cette façon d’exercer, et plus prosaïquement difficulté de revoir l’ensemble de sa façon de travailler à l’aune d’une mesure (aussi vexatoire et complexe soit-elle) et refus de renoncer aux quelques avantages que la formule libérale conserve : il est peu probable que, de fait, les trois quart des professionnels de santé libéraux dévissent leur plaque le 30 décembre 2017 date promise de la généralisation obligatoire du tiers payant. Néanmoins, les résultats sans appel de ce sondage ne peuvent être vus que comme un nouveau signal d’alarme pour les députés qui s’apprêtent demain à examiner le projet de loi. Il est en effet la marque du refus frontal des professionnels contre cette mesure (d’autant plus que parmi les 20 % de praticiens qui ont indiqué que le tiers payant ne les conduirait pas à renoncer, tous sans doute ne sont pas pour autant favorables au dispositif, mais ont peut-être choisi de répondre à notre question de manière plus pragmatique).
Des jeunes peu tentés par l’exercice libéral

Au-delà de la possible "exagération" des résultats de notre sondage (liée au climat passionnel que suscite cette disposition), on rappellera que la situation de l’exercice libéral en médecine est déjà particulièrement difficile et comme notre enquête le laisse penser, les années à venir ne devraient guère permettre d’améliorer ce tableau. Ainsi, aujourd’hui, comme le rappelait récemment une étude de l’INSEE, « l’âge à l’installation des médecins libéraux est de plus en plus tardif, en particulier pour les spécialistes. Par exemple, les spécialistes de secteur 1 installés depuis ans cinq ou moins en 2011 avaient en moyenne 41 ans au moment de leur installation contre 39 ans en 2009 » rappelaient les auteurs de l’étude. Ce vieillissement met en évidence combien chez les jeunes praticiens le choix de l’exercice en ville ne va pas de soi et combien sont évaluées les différentes contraintes avant de choisir de visser sa plaque. On sait par ailleurs que seuls 10 % des jeunes diplômés, font après la fin de leurs études, le choix immédiat du libéral. Si cette proportion est corrigée par des installations plus tardives, ce pourcentage n’en demeure pas moins inquiétant et illustre encore une fois combien seraient nécessaires des mesures incitatives, plus que des dispositifs redoutés (la part croissante de remplaçants peu intéressés par l’idée de s’installer est également préoccupante). A cet égard, la mobilisation de plusieurs syndicats d’internes et de jeunes médecins confirme que le tiers payant n’est nullement interprété comme un signal encourageant et positif.

Notons par ailleurs que si le libéral n’est pas entièrement boudé, on constate cependant que l’activité mixte est plus souvent plébiscitée, ce qui est un autre signe de défiance des jeunes médecins. Ainsi, l’enquête de l’INSEE signalait que 53 % des spécialistes installés depuis cinq ans ou moins en 2011 connaissaient une activité mixte, contre 44 % toutes anciennetés confondues. Il n’est pas à exclure qu’avec l’introduction du tiers payant, la tentation d’accroître encore la part de son activité salariée progresse.

La retraite : un sujet prégnant pour beaucoup de praticiens

Du côté des praticiens déjà installés, certains affirment que la généralisation du tiers payant pourrait favoriser les départs à la retraite. Une fois encore, les chiffres suggérés par notre sondage dépassent sans doute la réalité (du moins il faut l'espérer pour la population!). Cependant, plusieurs signaux doivent alerter. D’abord, on le sait, l’âge moyen des médecins libéraux est de 54 ans, tandis que selon les statistiques de la CARMF 29 % ont plus de 60 ans : ainsi pour beaucoup la question de la fin de leur activité est une réalité tangible. On sait par ailleurs que l’âge moyen de départ à la retraite des médecins a connu une légère baisse passant de 66,29 ans en 2000 à 65,26 ans en 2010. Certains y verront le signe d’une lassitude des praticiens, face à la multiplication des contraintes. Cependant, compensant ces tendances, on sait également qu’aujourd’hui, un tiers de médecins retraités continuent à exercer : reste à savoir si la généralisation du tiers payant les confortera dans cette voie.
Quid du secteur 2 et de ceux qui ne télétransmettent pas ?

Parmi ces médecins âgés qui pourraient se montrer les plus enclins à cesser rapidement leur activité, se trouvent sans doute ceux et celles qui aujourd’hui continuent à bouder la télétransmission. Chez les spécialistes, leur proportion n’est pas marginale puisqu’elle atteint 22 % selon des chiffres de l’Assurance maladie, tandis qu’elle plafonne à 9 % chez les généralistes. Ceux que l’utilisation de la carte vitale rebute pourraient être les premiers à s’interroger sur le sens de leur activité quand le tiers payant voudra s’imposer à eux. Enfin, il est également probable que la colère et les doutes soient forts chez certains praticiens de secteur 2, dont les autorités ont très peu évoqué le sort. Pourtant, ces derniers pourraient être ceux les plus rudement confrontés aux difficultés techniques de la dispense d’avance de frais quand il s’agira de calculer le reste à charge pour les patients (qui sera variable en fonction du niveau de garantie de chaque contrat de complémentaire). Sans doute, cette contrainte spécifique n’est-elle pas totalement innocente, mais il n’est pas certain que la réaction des praticiens installés en secteur 2 face à ce nouvel obstacle soit unanimement de renoncer à leur liberté tarifaire. Et rappelons à toutes fins utiles qu’aujourd’hui un quart des médecins libéraux exercent en secteur 2 dont 41 % des spécialistes.
Les Français seront-ils toujours satisfaits quand les médecins viendront à manquer ?

De très nombreuses projections démographiques alertent sur la baisse du nombre de médecins dans les années à venir, notamment dans plusieurs spécialités. Aujourd’hui, il est certain que la généralisation du tiers payant ne contribuera pas, au contraire, à freiner cette tendance. Le gouvernement qui s’enorgueillit de constater que tous les sondages mettent en évidence le soutien des Français à cette mesure devrait se souvenir que les mêmes Français sont également très attachés à la possibilité d’obtenir rapidement un rendez-vous auprès de leur praticien et que les délais d’attente sont la première cause de renonciation aux soins (avant la question du coût).

Aurélie Haroche